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Corps animal

string quartet & ondes Martenot

2024-2025


Commande de Radio France pour le festival Présences, le quatuor Arditti et Nadia Ratsimandresy

Mouvements:
I.1 Quatre papillons
I.2 Les animaux
II. Papillons 1 — Joyful, playful & light
III. Zébrures — Ludique
IV. Papillons 2 — Joyful, light, very contrasted
V. Suspension — Like a music box
VI. Textures — Espressivo, plus lourd, un peu angoissé
VII. Scary Melodies — Allant, chanté à tue-tête, intense
VIII. Papillons III — Crépitant, très contrasté, joyeux
IX. Textures II (Refrain) — Vaporeux, crépusculaire, mais un peu au second degré : presque sirupeux.

Durée : environ 15’

1.
Nadia Ratsimandresy a choisi de ne pas utiliser les résonateurs des ondes Martenot, mais un ampli de guitare électrique : ce choix radical permet de s’échapper heureusement des voilés diaphanes du moderniste XXe siècle. Tant mieux : j’aurais été tenté sinon d’écrire une pièce à l’esthétique des débuts de l’Itinéraire, à la manière de Grisey peut-être. Je laisse cela à mes collègues, ou mieux, aux classes d’écriture vingtième du Conservatoire.

« L’onde » ainsi réinventée acquiert un caractère plus essentiellement gestuel mais aussi plus rude : une fabrique à morphologies sonores proches de la voix parlée, articulée et prolixe, tantôt caressantes, tantôt cassantes, toujours d’une grande expression.

Et voici comment j’ai fantasmé la rencontre entre l’énergie, le son, et le plaisir de jouer des fabuleux Arditti avec la virtuosité, la vision et l’engagement total de Nadia. La voix synthétique de l’onde, qui chante souvent comme une voix (celle de ma fille), donne le ton aux textures du quatuor à cordes, denses, homorythmiques mais hétérophoniques, qui laissent cependant place à des éclats solistes ou bicinium - comme si la nature électrique de l’onde, hautement conductrice, se transmettait aux musiciens du quatuor, alors sous tension. Les textures sonores changent de qualité extrêmement rapidement, avec une qualité tour à tour chatoyante et crépitante ou profonde et ténue. Volubilité, éclats, stridences ; résonances fluides, ombre passagère, grondements ; immobilité, blocages, tonlos.

2.
Selon le philosophe David Abram, notre « corps animal », pour chacun de nous, permet de  « ressentir la Terre et les animaux qui la peuplent comme une extension de notre propre corps ». C’est ce que vit un enfant quand il ne sait pas encore se dissocier de son environnement.

Ma fille Alix, quand elle était âgée de 18 mois environ, n’avait alors qu’environ 40 mots de vocabulaire, tels que sa mère et moi pouvions les répertorier. Le miaulement ou l’aboiement sont des incarnations d’animaux qui sont encore des extensions de son « corps animal », alors que le langage, en se développant, comme il le fait en ce moment très rapidement chez elle, permet d’explorer peu à peu une dissociation. Ainsi les multitudes de « papillon » (avec des accents répartis irrégulièrement sur chaque syllabe : essayez !), sont des expressions de la joie d’être encore un peu un papillon et de comprendre aussi qu’elle est une petite fille.

Ces mots sont reconstitués par une mosaïque de sons de cordes et d’ondes, constituant le matériau musical de la pièce de ce soir. Les sons transmettent l’énergie vitale de la voix, prenant avec elle un peu de ce corps animal. « C’est en vibrant dans notre corps animal que nous pouvons retrouver cette affectivité rythmique et tonale du langage et nous réaccorder avec le monde plus qu’humain » , dit encore David Abram.